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Épisode 1 - La famille Ca

(Vous retrouverez l'épisode en format Word et PDF dans l'onglet épisodes)

La famille, c’est compliquée; du moins, c’est ce que les gens ont l’air de dire. Mais moi, je n’ai jamais compris en quoi c’est censée être ardue. Il y a quelqu’un à côté de toi et peu importe ce que tu dis ou fais, il y est encore le lendemain. Cette personne te crie dessus, t’insulte, mais tu restes là, parce que tu sais qu’au fond, elle tient à toi. Vous trouvez que c’est difficile, vous?

— Qui a encore mis des nouilles partout sur le poêle?

Je ne peux pas m’empêcher de glousser en regardant ma mère.

— Devine.

Elle fronce les sourcils et se tourne vers la benjamine de la famille. Cyth lève la main, passant à l’aveu sans hésitation.

— C’est pas nouveau, commente Jid, l’aîné, en avalant une autre bouchée.

Autour de la table familiale, sept sourires se forment alors que ma mère et Cyth se fixent, attendant toutes les deux que l’autre agisse.

— Va ramasser, se décourage ma mère.

Ma sœur soupire et se tourne vers le couloir. Notre vieille chatte se dirige alors d’un pas traînant vers la cuisine et saute sur le four, mangeant la nourriture qui a quitté le plat, sans toucher ce qui est resté en place.

Mon sourire s’élargit. J’aurais dû prévoir que Cyth ferait appel aux animaux pour éviter de se lever. Ma mère ne le voit pas du même œil.

— Je n’utilise pas mon pouvoir sur toi, tu n’as pas à utiliser ta communication avec les animaux pour te sauver des tâches!

— Le problème est réglé, alors qu’est-ce qui ne te va pas?

— Ce n’est pas toi qui…

— Merde, Jub, fais attention! s’exclame Jid en ramassant l’un de ses ustensiles par terre, imité par deux autres membres de ma fratrie.

— J’avais la tête ailleurs, s’excuse mon autre cadette en laissant sa fourchette voler jusqu’à sa bouche.

— Déjà, que tu ne touches pas tes ustensiles c’est troublant, essaie de ne pas balancer les nôtres partout dans la pièce, propose mon deuxième frère, Frank, le quatrième de la famille.

— C’est assez dangereux, approuve Var, la deuxième.

— Complètement flippant, la télékinésie, soupire Cyth.

— On peut bien parler de toi avec tous les animaux que tu nous ramènes! S’énerve Jub.

Je stabilise mon verre et vois les autres m’imiter.

— Il va falloir que tu apprennes à te contrôler, dit doucement mon père.

Jub fait la moue, mais la table arrête d’être secouée de tremblements. Milli touche mon épaule et je me tourne vers la troisième de la famille.

— Je peux avoir le reste de ton pain à l’ail? me demanda-t-elle.

Je pars à rire.

— Frank! m’esclaffais-je. Tu me sous-estimes.

Ma sœur s’ébroue soudain et le rire clair de mon frère se fait entendre. Milli grogne.

— Encore? s’exaspère-t-elle. Il faut toujours que ce soit mon corps que tu décides de contrôler!

— Il doit être plus douillet, propose Cyth en avalant rapidement le contenu de son assiette.

Dans mon esprit, je vois des torrents de flammes. J’ai l’impression de sentir leur chaleur sur mon corps. Sauf que je n’ai pas mal. C’est ça, le pouvoir de Milli. Elle crée un monde autour de nous.

— Rends-nous notre vision, gronde mon père.

Le monde se rétablit et Milli soupir.

— Je suis la seule qui se fait gronder? demande-t-elle.

— J’ai eu la sagesse de ne pas déranger les parents, moi, affirme Frank.

— Que tout le monde se calme! nous réprimande ma mère.

— Oui, chef! dis-je en me mettant au garde-à-vous.

— Tu en fais trop.

— Oui, chef!

Avant de risquer un ordre formel, je retourne à mon assiette.

— Aie! Bon sang que ça fait mal! s’exclame Var en prenant sa main droite dans sa gauche.

— Quoi? s’étonne mon père.

— Une fourchette vient de me rentrer dans la main!

— Je n’ai pas fait exprès! assure Jub.

— Vraiment, Jub! s’énerve papa.

— Je fais ce que je peux!

Mon père soupire et tend la main à Var qui lui donne la sienne. Quelques secondes et les quatre minis trous disparaissent.

— Encore heureux que papa soit là pour réparer les erreurs du danger public, affirme Jid.

Un couteau va se planter en avant de son assiette et il hoche la tête, laissant les gens autour de la table approuver ce qu’il vient de dire.

La sonnerie du cellulaire de papa retentit.

— Plus un mot, ordonne maman.

Soudainement, tout le monde se tait. Je sais que nous sommes tous sur la même longueur d’onde, ressentant la puissance qui découle des mots de ma mère.

— Dan à l’appareil, dit mon père en portant le téléphone à son oreille. Oui, je suis avec tout le monde… Hum, hum… Dans cinq minutes tout au plus.

Il raccroche et nous regarde. Nous nous levons comme un seul homme, sachant très bien ce qui nous attend.

— Vol à main armée à la caisse populaire, nous dit-il.

Jid ferme les yeux.

— Le troisième dans la région en un mois. Ce doit être des récidivistes.

Je souris alors que je vois une quantité faramineuse d’informations défiler dans la tête de mon frère. Les voleurs font leur coup en seulement quelques minutes; ils repartent avec des milliers de dollars; ils utilisent toutes sortent d’armes flippantes… Notre aîné est une salle d’archive à lui tout seul. Il est de ceux qui rendent mon pouvoir si intéressant, parce que pendant un instant, j’ai l’impression de le posséder également… puis, je me souviens que je n’ai aucun contrôle sur l’information qui défile. Je ne fais que lire en lui, comme les autres écouteraient un film.

Déjà, Var est sur le pas de la porte avec Cyth et Fank.

— Vous venez? nous demande mon aînée.

Je me précipite vers elle avec ceux qui restent. Var s’envole alors que je la rejoins. Elle prend la direction de la caisse par voie des airs. Elle y sera en premier et mettra encore sa vie en danger en ne sachant pas nous attendre.

— Vite! s’exaspère mon père qui vient d’avoir la même réflexion.

Un énorme cheval arrive sur le pas de la porte et Cyth embarque sur lui sans aucune hésitation, alors que tous les autres se jettent vers le van familial qui les attend dans la cour.

La benjamine me tend la main et je souris de toutes mes dents en montant derrière elle.

— Prête? me demande-t-elle.

— Toujours prête!

Le cheval se met alors au trot, puis rapidement au gallot, sans que ma sœur ait besoin d’esquisser le moindre mouvement. J’entends le van derrière nous prendre un virage sur les chapeaux de roues et je glousse, le vent dans le visage.

Il n’y a vraiment rien de difficile à être une famille, il suffit de se laisser porter par chacun, les yeux fermés, et de les comprendre en son cœur, sans réfléchir aux gestes qu’ils choisissent de poser.

Il suffit de les aimer.

C’est ça, ma famille. C’est ça, la famille Ca!


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