Épisode 7 - Il n'y a pas de héros
Dès que l’officier qui discute avec Jid se dit qu’il serait temps de nous laisser entrer, j’ouvre la porte et me retrouve à observer le détenu. Plutôt grand, chétif, on dirait qu’il ne mange pas à sa faim. En plus, il a les mains menottées et attachées à la table qui est fixée au sol – aucun risque pour ma sécurité. Il me fait pitié.
À mon entrée, il se tourne vers moi et me dévisage. Il se demande ce que fait une petite fille ici. Il hésite entre s’offusquer parce qu’on ne le prend pas au sérieux ou rigoler de la situation. Il penche pour la deuxième option.
-La police n’a tellement plus de budgets qu’elle exploite des enfants, maintenant?
Je soupire.
-Ne m’insulter pas à voix haute, sil-vous-plaît, dans votre tête, c’est suffisant.
L’homme fronce les sourcils alors que Jid me rejoint. Mon frère ne dit rien, parce qu’il sait que ce n’est pas nécessaire, mais il est frustré que je ne l’aie pas attendu.
Jid et moi, on s’installe sur les chaises du côté opposé au détenu. Je me penche vers l’avant.
-Quel est votre nom?
L’homme m’offre un sourire suffisant et garde le silence. Je réponds à sa place.
-Marty Carl, bien.
Marty semble septique, mais l’un des policiers de la salle voisine me fait le plaisir de noter le nom.
-Eh bien, je ne pensais pas que la police trouverait mon nom si vite.
-C’est parce que je lis dans vos pensées.
Son rire fuse autant dans ma tête que dans mes oreilles. Il ne me croit pas. Pas encore.
-Votre date de naissance? 15 mai 1982, bien. Votre adresse? 595 rue Villeneuve, parfait. Vous faites quoi comme travail? Vous êtes au chômage? On vous a renvoyé suite à une maladie? Je compatis. Mais ce ne serait pas illégal, en fait?
Plus je parlais seule, plus je voyais ses yeux s’écarquiller, jusqu’à réellement atteindre une tête d’ahuri. Un policier dans l’autre salle la quitta rapidement pour aller faire des recherches.
-Je… On n’avait pas de syndicat.
-Je suis vraiment désolée.
-Vous n’y êtes pour rien…
Jid se retient de lever les yeux au ciel. Il n’arrive pas à croire que Marty soit déjà en train de me faire la conversation. Pourtant, je n’ai pas beaucoup de mérite. Je pose simplement les questions qui viennent à l’esprit de l’inspecteur de la pièce voisine.
-Vous avez l’air d’un type bien, censé. Comment en êtes-vous arrivé à menacer quelqu’un d’un couteau?
Physiquement, Marty se renferme sur lui-même. Ses épaules se courbent et ses yeux quittent les miens. Mais je n’ai pas besoin qu’il parle. Je dois seulement faire monter en lui les souvenirs, aussi douloureux qu’ils soient. Sauf que les images qui défilent dans son esprit comme dans le mien me donnent envie de fuir. L’enchaînement des malheurs est terrifiant. Une pente fatale comme on en voit peu dans la réalité. Et tout commence avec la maladie qui le conduisit à son licenciement. Malheureusement, il n’y a pas d’excuse qui permette de menacer une femme d’un couteau. Pas d’excuse à vouloir à tout prit voir le malheur des autres se refléter dans leurs yeux pour apaiser le sien. Il n’y a aucune excuse qui peut justifier de créer un traumatisme chez quelqu’un. La vie fait ses ravages, et nous, nous devons accepter ses blessures pour guérir. Voilà tout.
Je me penche vers Marty pour le regarder dans les yeux.
-Et maintenant?
Je sais qu’il veut encore en finir. La prison ne rend pas son avenir plus reluisant.
Je lui offre un dernier sourire triste.
-Vous savez, la vie est faite de choix dont on doit accepter les conséquences. Vous en avez fait un mauvais dont les conséquences sont graves. Tout ce que je peux faire, c’est vous conseillez de vous y soumettre et espérer que la prochaine fois, vous ferez un choix plus judicieux.
Marty ne veut pas parler. Il en pleurerait. La mort envahit encore son esprit, mais il prendra le temps de se demander s’il ne serait pas mieux de vivre. Alors, peut-être. Peut-être choisira-t-il d’accepter la vie. Je ne sais pas, parce que lui-même ne sait pas. Mais ce que je sais, c’est que j’en ai vu assez pour la journée.
-Bon courage, Marty.
Je me lève sous le regard surpris du détenu et de mon frère qui attendra sagement d’être à la maison pour me parler de ce qui vient de se passer.
Je me dirige vers la porte et quitte rapidement la salle. Les policiers qui assistaient à l’interrogatoire sont déstabilisés, suffisamment pour que je parte avant qu’ils ne me rattrapent. Ils veulent savoir toute l’histoire, mais je ne peux pas leur raconter. Pas maintenant. Ça devra attendre. Pour le moment, je fais confiance à Jid pour gérer la situation. Pour ce qui est du désir du supérieur de sauver du temps sur les interrogatoires, ça aurait pu marcher. Mais je ne peux pas, finalement.
Parfois, il n’y a pas de héros, parce que peu importe les pouvoirs que les gens possèdent, ils ont des faiblesses. Ou alors, les héros sont ceux qui s’accrochent, qui supportent le malheur dans l’espoir qu’un peu de bonheur en ressortira.
Tout le monde avait raison. Je suis trop jeune. Je ne suis pas prête.
Mais je suis Zab Ca et un jour, je reviendrai en force.
Ce jour-là, je sauverai des vies. Mais pour l’instant, je retrouverai le bonheur de mes simples actes de bonne volonté.