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Épisode 8 - bombe printanière


Prendre un temps pour s’arrêter. Regarder la nature à son naturel. Profiter de la lumière du jour, du chaud et du vent frais. Couchée sur le ventre dans l’herbe, les yeux fixés sur son objectif, son oscillation, sa beauté.

-Qu’est-ce que tu fais?

Je lève les yeux vers Frank qui, debout, me regarde de haut. Juste derrière lui, Cyth me dévisage. Je m’assois et époussette mon chandail.

-Je regarde la fleur pousser.

Frank éclate de rire. Cyth grimace. S’arrêter pour observer n’est pas nécessairement dans l’habitude de la famille.

-Ça doit être passionnant, marmonne Cyth.

Je hoche les épaules.

-C’est une belle activité de printemps. Ça me soulage de vos pensées trop intenses. Observer, ça me change d’écouter.

Cyth lève la main vers moi dans un salut.

-Bye.

Puis, elle se retourne pour s’éloigner. J’éclate de rire.

-Elle est sérieuse, juste comme ça?

Frank sourit et se laisse tomber à côté de moi.

-Pourquoi pas juste comme ça?

-Vrai.

Var se dépose près de moi sans prendre la peine de ralentir son vol. Elle plonge tête première vers le sol. J’échappe un cri en m’éloignant d’elle.

-Ça va? lui demande Frank qui n’a pas du tout l’air de s’inquiéter.

Var se redresse d’un coup en ignorant la tache de pelouse sur ses pantalons.

-On a une alerte à la bombe! Les policiers se chargent de la bombe avec Jid, mais j’ai besoin de Zab pour retrouver la personne qui a appelé. En se fiant à la position de l’appel, elle serait près des lieux et c’est clair qu’elle pense à la bombe. Ça ne devrait pas être trop dur à trouver.

Je me lève en soupirant.

-Pas besoin de me faire un discours. Je sais ce que j’ai à faire.

Var me tourne le dos et se baisse en mettant ses bras derrière elle.

-Alors, monte.

À chaque fois qu’elle me fait le coup, j’ai envie de m’enfuir. Var ne serait pas capable de me porter dans ses bras sur un mètre et il faut que je lui fasse confiance à plusieurs mètres dans les airs… Mais je sais que lorsqu’elle vole, c’est différent. Un vrai petit super-héros.

J’embarque sur son dos, m’accrochant à ses épaules au cas où ses bras me lâcheraient. Elle vacille, mais une fois envolée, ça ne lui exige plus aucun effort.

Du haut des airs, je vois Frank qui me fait un salut rapetisser de plus en plus, jusqu’à ce qu’on soit trop loin pour le distinguer. À terre, les restants de neige disparaissent. L’air est frais, mais doux. Le printemps s’est fait attendre, mais il finit toujours par se montrer.

Var fonce vers le centre d’achats où des lumières rouges et bleues éclairent le stationnement. Si je n’avais pas lu dans les pensées de Var, j’aurais quand même su que c’était l’endroit de l’alerte. Dur à manquer.

Je ne peux pas m’empêcher de soupirer. Je n’ai jamais de « chalenge » pour deviner quoi que ce soit. Ça en devient ennuyant.

Var descend en altitude et je me mets à entendre et écouter les pensées des gens, à la recherche de la bonne personne. Celle de l’appel, peut-être la poseuse de bombe, ou en cas de fausse alerte, celle qui se joue de la police. Ce n’est pas à moi de deviner ses intentions. Je n’ai qu’à la trouver et la dénoncer. Mais il y a de fortes chances que je sache le fin mot de l’histoire par la même occasion.

Peur. Excitation. Hésitation. Vengeance. Inquiétude. Colère. Euphorie.

Je tape sur l’épaule de Var.

-Va voir un policier. J’ai trouvé.

Var se dirige vers un policier, un peu trop vite à mon goût. Heureusement, elle ralentit avant de mettre pied à terre, ce qui me permet de sauter de son dos, évitant ainsi qu’on rencontre l’asphalte de façon plutôt douloureuse.

Le policier, dans la vingtaine, nous dévisage.

-La famille Ca, finit-il par trouver de lui-même.

Je sais qu’on est célèbre. C’est ça, sortir de l’ordinaire et aider la police avec les malfrats.

Je sais ce qui va se passer après. Je vais lui indiquer la femme coupable, il va l’interroger avec d’autres, puis peut-être procéder à son arrestation. Mais moi, je vais simplement retourner à mes occupations.

C’est aussi bien comme ça. Il faut prendre le temps de profiter à mon âge. Le printemps n’arrive qu’une fois tous les ans et les fleurs au Québec ne sont pas toujours présentes. Je pourrai m’étendre dans l’herbe et fermer les yeux ou fixer le soleil. Je ferai ce que je veux, parce que je le peux.

Je suis Zab Ca et la vie est devant moi.

Je suis décidée à en profiter.


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