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Morale à zéro


Tout le monde fait des erreurs. Parfois, on dit quelque chose, on fait un geste ou, justement, on ne le fait pas. C’est le lot de l’homme que de se tromper. Mais… il y a des erreurs qui coûtent plus cher que d’autres.

-Le pont s’est soudainement effondré et…

Mon père ferme la radio de l’auto en grinçant des dents.

-On sait! marmonne-t-il. On arrive, bon sang…

Tous dans le véhicule, on est sur les nerfs. La radio parle d’immense dégât, de vies en danger, de drame, et nous, on est prisonnier de la distance. On se dit qu’une fois sur place, au moins, on pourra faire quelque chose… Mais arrivé à destination, ce n’est pas mieux. Des gens blessés – ou pire –, des gens qui pleurent… Je peux les attendre appeler à l’aide du plus profond de leur trou et de leur désespoir. Ils ne veulent pas mourir.

Je cours vers les secouristes.

-Je vous indique où ils sont.

Ils hochent la tête et on se met au travail. Mes parents, Mili et Cyth sont au réconfort et au soin. Var, Frank, Jub et moi aidons à secourir les gens. Frank prend possession de leur corps s’ils sont trop paniqués pour écouter; c’est plus pratique qu’il n’y paraît. Quant à Jid, il se promène de long en large en dispensant ses précieux conseils.

Mais c’est difficile d’affronter le malheur des autres. Il y a nécessairement des choses qu’on ne peut contrôler. Les gens cherchent un coupable alors que le temps est au deuil plutôt qu’aux accusations. « Une telle horreur peut-elle exister? » se demandent-ils, « qui a fait l’erreur fatale? ». Mais est-ce seulement dû à une personne?

En tout cas, c’est à cause de tout ça que même une fois fini, bien à l’abri chez nous, assis à la table, un bon repas devant nous, personne ne mange avec appétit, et ce, malgré l’énergie dépensée.

Je regarde les membres de ma famille et soupire. Là-bas, un type m’a dit : « Va te reposer, demain, ça ira mieux ». Mais je n’en suis pas à mon premier marathon. Je sais que ce genre de chose nous obsède toute notre vie. Oui, avec le temps, ça s’apaise un peu, mais demain? Je me sentirai toujours aussi vide.

-Vous avez vu la vidéo du pingouin qui se fait taper par un autre et tombe dans un trou d’eau? nous demande tout d’un coup Mili en rigolant un peu.

Je regarde Mili avec un léger sourire. Ce n’est pas qu’elle est déconnectée. Elle essaie simplement de nous remonter le moral. Il me semble que faire de même pour elle est la moindre des choses.

-Oui, c’est la meilleure vidéo de tous les temps. Le pingouin qui tape l’autre est trop relaxe en plus.

Petit à petit, les gens approuvent autour de la table. Ça me rappelle plus tôt, lorsque j’ai vu un enfant pousser la dernière pierre qui le couvrait à la force de ses bras. Il avait une telle volonté de vivre, que Dieu lui-même n’aurait pas pu le ramener près de lui. Alors, on se débat dans la déprime pour en sortir la tête et se remettre à vivre.

Avec cette idée, ma famille essaie de tenir des conversations, bien qu’elles retombent souvent pour laisser de lourds silences.

-Et si on sortait, demain? propose soudain ma mère.

Je vois ce qu’elle a en tête. Une sortie familiale, du bonheur… Je n’en sais trop rien.

-Allez s’amuser? On ne risque pas plus de gâcher notre sortie qu’autre chose? Demain, c’est trop…

-C’est parfait.

Le bonheur n’est pas quelque chose qu’on court, c’est quelque chose qui est là quand tu décides que sa présence doit être. Ma famille me l’a appris. C’est pour ça qu’il faut toujours se battre contre son moral à zéro : pour être heureux.

-On sort demain, approuve mon père.

Les autres sont hésitants, mais nous savons tous que tout le monde va suivre. Parce qu’on est la famille Ca et que c’est comme ça qu’on marche. Toujours vers l’avant.

-Les boss ont parlé.

Je suis Zab ca et ma famille à ce petit quelque chose qui nous mènera loin.

-Vivement demain, donc.

À suivre…


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